Le Site "Pierre Limasset" remercie Pierre Cornuet et les Archorales,
Extrait des ARCHORALES-INRA CASSETTES DAT N° 118-1 ET 118-2 Propos recueillis par D. Poupardin Cornuet Pierre, ancien Directeur de la Station de Pathologie végétale de Versailles Viroflay, le 12 Novembre 1996 Ancien Directeur de la Station de Pathologie végétale de Versailles.
P.C. Je suis né le 27 Mars 1925. Ma mère est née en Russie quelle a dû quitter avec sa propre mère, dans des conditions très douloureuses, après la révolution de 1917. Elle avait fait la connaissance, en Allemagne, de mon père qui avait été blessé au visage durant la guerre. Celui-ci venait de la Marne et était dorigine très modeste. Mes parents se trouvaient dans une situation assez démunie, au sortir de la guerre. Mon père navait, en effet, au départ, que sa solde de lieutenant mais, par un travail acharné, il a pu monter progressivement dans léchelle sociale. Jai bénéficié beaucoup de lexpérience de mes parents, étant le fils unique sur lequel ils avaient reporté toute leur affection. Jai fait des études secondaires assez médiocres. Ma mère attribuait mes difficultés scolaires au fait que ma grand-mère maternelle vivait avec nous et que nous parlions à la maison à la fois en russe, en allemand et en français. Mes résultats se sont améliorés, en 1944, au moment où je suis entré à lIAT (Institut Agricole de Toulouse) qui est devenu, par la suite, lENSA (École nationale supérieure agronomique). Jai trouvé enfin ma voie, ayant toujours bien aimé la nature et le travail dans les exploitations agricoles. Les études, dans cet institut, séchelonnaient alors sur 2 ans et demi. A la fin de la troisième année, il y avait une petite thèse à soutenir. La mienne a porté sur létude de la symbiose bactérienne des légumineuses.Il sagissait dun travail très personnel que javais effectué dans un petit laboratoire de la Faculté des sciences de Toulouse. Javais appris, tout seul, les techniques de stérilisation et de repiquage de bactéries, la fabrication des plaques de silicogel. Cela a été une période heureuse. ( . . .) D.P. La plupart des camarades de votre promotion se destinaient plutôt à des carrières dans des exploitations agricoles ou des organismes para-agricoles. Pour quelles raisons vous êtes-vous orienté en 1947, à votre sortie de lécole, dans une toute autre direction ? (. . . ) Un jour, mon père qui lisait régulièrement le Journal Officiel ma fait savoir quun concours dassistant allait prochainement être ouvert dans un certain "Institut de recherche agronomique". Bien que ne sachant pas de quoi il sagissait, je me suis rendu à l'adresse indiquée, dans des locaux qui ne devaient pas encore être ceux de la rue Képler et suis tombé dans lescalier sur Marc Ridet. Mayant dit que le concours prévu était plutôt destiné à des gens qui faisaient déjà partie de la maison, il ma signalé toutefois que Pierre LIMASSET cherchait un jeune et que je serais avisé de le rencontrer. J'ai suivi son conseil et ai pris rendez-vous avec LIMASSET, à Versailles. Comme celui-ci mavait demandé ce que javais essayé de faire dans ma thèse, je le lui ai expliqué. Il ma dit plus tard que cest ce que je lui avais exposé au cours de cet entretien qui lavait décidé à me recruter. 3 jours après, jai reçu effectivement une lettre mavisant que jétais embauché comme agent technique, sur un fonds de concours accordé par la Fédération des producteurs de plants de pommes-de-terre. Ce statut était, certes, instable mais javais mis le pied enfin dans un laboratoire ! Cest ainsi que je suis entré à lINRA, le 6 Février 1948, étant payé 17 000 "anciens" francs par mois, à mes yeux un pactole ! ( . . .) D.P. Comment avez-vous été reçu, à Versailles, dans le laboratoire qui vous avait été affecté ? Pourriez-vous parler de Pierre LIMASSET qui vous avait embauché ? P.C. P. LIMASSET était un personnage très attachant : il était sérieux et très droit, nadmettant pas de manquements de la part de ceux qui travaillaient avec lui. Les graves problèmes qui se sont posés dans sa station lont beaucoup affecté. En entrant dans la station centrale de pathologie végétale, je comptais faire de la bactériologie, puisque je métais occupé précédemment de microorganismes. Mais LIMASSET qui venait den prendre la direction, en remplacement de Gabriel Arnaud, ma déclaré de sa voix grave : "Cornuet, vous ferez de la virologie !" A Toulouse, les virus ? personne ne connaissait ! Le cours quon avait eu avait été si vite expédié que je ny avais porté aucun intérêt. Jai répondu toutefois à LIMASSET que je ferai comme il le souhaitait. Il était avant tout un professeur. Cétait un enseignant remarquable dont les cours à lécole dhorticulture et à lORSTOM étaient suivis par tous les chercheurs de sa station. Grâce à lui, jai pu apprendre très vite les premiers rudiments de la virologie. D.P. Combien de personnes y avait-il alors dans la station de pathologie, au moment où vous y êtes entré ? P.C. Une trentaine de personnes, mais en virologie, nous étions très peu nombreux. Il ny avait, en effet, dans ce domaine, que Mlle Hélène Augier qui était un peu son bras droit (elle vient juste, hélas, de décéder !), André Vuittenez qui est parti très vite à Colmar pour remplacer M. Selariès, à la tête de la station (2), Yves Gendron (3) qui avait été recruté en même temps que moi.
D.P. Comment la station de pathologie végétale, dans laquelle vous étiez entré, était-elle organisée ? P.C. Elle était formée de 3 grands services : la mycologie, la bactériologie et la virologie. LIMASSET essayait de développer ce dernier secteur dont son prédécesseur mycologue navait jamais voulu entendre parler. Gabriel Arnaud sétait insurgé auprès la Direction générale quand il avait appris que LIMASSET piquait des lapins pour essayer dobtenir un diagnostic sérologique des virus de la pomme de terre et de la betterave. Cest LIMASSET qui a mis au point la technique que la Fédération des producteurs des plants de pommes-de-terre a par la suite utilisée. La Fédération a installé, en effet, des laboratoires dans les diverses régions où des plants de pomme de terre étaient cultivés pour leur appliquer des tests sérologiques. Jai travaillé pendant une dizaine dannées avec P. LIMASSET, comme directeur, mais sa mauvaise santé la contraint, en 1956, de quitter Versailles et de postuler à un poste de professeur de pathologie et de botanique, à Montpellier. Par la force des choses, je me suis retrouvé ainsi, très tôt, à la tête du service de virologie. Il se trouve que les années soixante ont permis à lINRA deffectuer beaucoup de nouveaux recrutements. C'est ce qui m'a permis de constituer autour de moi une petite équipe. D.P. La domination écrasante de la mycologie au sein de la station de pathologie végétale a-t-elle ôté longtemps toute chance de développement aux études virologiques ? P.C. Pendant un moment, je me suis demandé si cette direction de recherches allait pouvoir se développer. Pendant quil était aux États-Unis, Georges Morel, avec qui javais travaillé pendant un temps, mavait confié le soin de surveiller ses cultures de tissu. Ce travail, assez absorbant, mavait apporté, en retour, beaucoup de choses au plan scientifique. Mais, à son retour, G. Morel a quitté la pathologie et je nai plus eu loccasion de travailler avec lui. Y. Gendron était parti. Il y a eu, en conséquence, toute une époque où je me suis trouvé un peu livré à moi même. Comme la virologie réclamait de plus en plus de moyens (que je n'avais pas) et sorientait de plus en plus vers des aspects biochimiques, j'ai entrepris d'écrire un livre de virologie (4), à partir des centaines de fiches que j'avais remplies et accumulées, pendant 10 ans. Cet ouvrage que j'ai écrit, à une époque où mes perspective de travail se trouvaient assez bouchées (5) m'a beaucoup servi, par la suite, dans ma carrière. Constatant qu'il avait du succès auprès du public et qu'il se vendait bien, Jean Bustarret ma fait confiance et m'a envoyé des jeunes pour former une petite équipe. D.P. Les études virologiques étaient-elles plus développées, à l'époque, à l'Institut Pasteur ? P.C. Non, à Pasteur, il n'y avait que M. Segretain qui faisait un peu de virologie végétale, dans un tout petit laboratoire. Il y avait Lépine qui supervisait, en revanche, tout ce qui se faisait en matière de virologie humaine. Comme LIMASSET s'entendait bien avec lui, il acceptait de nous faire parfois des photos au microscope électronique quand nous en avions besoin. Mais, en réalité, ce qui nous manquait le plus pour effectuer des recherches plus approfondies, c'était l'ultracentrifugation. Il y avait, certes, une ultracentrifugeuse imposante à l'Institut Pasteur, mais elle était déjà très utilisée et il était difficile d'y avoir accès. Tant qu'il n'y a pas eu dultracentrifugeuse à l'INRA, les recherches virologiques étaient condamnées à demeurer à un niveau très rudimentaire. D.P. Recruté par les producteurs de plants de pomme-de-terre, j'imagine que vos premiers travaux ont porté sur les maladies qui affectaient la production de ce tubercule ? P.C. Il faut reconnaître que la virologie végétale est restée longtemps centrée sur la pomme-de-terre. C'était, en effet, sur cette plante, qu'on observait les pertes de rendement les plus substantielles occasionnées par les maladies virales. LIMASSET n'avait travaillé que sur la pomme-de-terre au cours de sa carrière, mais il avait entrevu la nécessité d'élargir l'étude des maladies virales à d'autres plantes. Quelques années après moi, il a recruté Guy Morvan pour étudier les virus des arbres fruitiers. Mais celui-ci est parti très rapidement à Avignon. D.P. Vos travaux sur les maladies virales de la pomme-de-terre sont-ils passés, en quelques années, d'une phase descriptive à une phase plus analytique ? P.C. La démarche a été un peu différente. P. LIMASSET nous donnait un cadre général et, sil nous imposait bien de faire certaines expériences auxquelles il tenait, il nous laissait une très grande liberté. Je suis parti de lidée quil fallait trouver des molécules qui soient capables de détruire les virus. Or, javais lu le travail dun allemand qui avait extrait des plantes certaines substances qui sopposaient à la multiplication des virus. Pour montrer que les effets annoncés étaient bien réels, je me suis dit quil fallait que jobserve ce qui se passait aux divers niveaux dun plant de tabac, infecté par la mosaïque du tabac, le virus expérimental le plus facile à utiliser. Y avait-il une corrélation entre la quantité du produit inhibiteur extrait dun plant de tabac et la quantité de virus dans les divers niveaux de la plante ? Jai montré à LIMASSET, à son retour de vacances, les résultats que javais obtenus en ce domaine : la quantité de virus diminuait en passant des feuilles les plus âgées au bourgeon. LIMASSET ne sintéressait pas du tout à la nature de linhibiteur, alors que je navais que cela en tête. Mais il a trouvé tout de suite que mes résultats étaient fort intéressants : "Et sil ny avait pas de virus dans les méristèmes ?" Et cest lui qui ma poussé à vérifier quil ny avait pas de virus dans cette partie de la plante. Jai écrit à G. Morel qui était alors aux États-Unis pour lui expliquer la découverte que j'avais faite. Jai reçu de lui une réponse enthousiaste : "Cest formidable ! On sait à présent cultiver des méristèmes. On va pouvoir régénérer complètement des variétés infectées par culture de méristèmes !" Jai peu participé aux études qui ont suivi, car Claude Martin qui avait été recruté 2 ou 3 ans après moi ma reproché, à son retour du service militaire, de vouloir garder pour moi les recherches intéressantes sur les méristèmes pour ne lui laisser que des questions mineures à étudier. Je lui ai dit finalement excédé : "Si tu le souhaites, prends les méristèmes ! Je ne veux plus men occuper. Je mintéresse davantage à la biochimie quà la dissection des méristèmes. Continue, puisque tu le souhaites, ce travail avec G. Morel !" Cest ainsi que C. Martin a poursuivi avec G. Morel le travail de production de plantes sans virus, régénérées à partir de la culture de méristèmes. Je profite de cette occasion pour dire que lINRA na jamais été, à mon sens, assez dirigiste dans ses recherches. Jai eu limpression durant toute ma vie que ses dirigeants mont laissé faire tout ce que je voulais. Leur confiance a-t-elle été toujours bien placée ? Ce nest pas à moi de le dire, mais quand je vois cette histoire actuelle de "la vache folle", il me semble quon aurait pu quand même prévoir quen donnant à manger aux vaches de la "poudre de vache", il y aurait tôt ou tard des problèmes qui se poseraient ! Il est assez curieux que rien nait été fait pour anticiper sur les événements. Cest vraiment avoir fait un peu la politique de lautruche ! La question se pose aujourdhui avec acuité pour les plantes transgéniques. Transformer toutes les plantes ? Jespère bien quon ne va quand même pas laisser les chercheurs faire, en ce domaine, tout ce quil leur passe par la tête. Car je le vois bien aujourdhui avec un peu de recul : ce dont ceux-ci ont envie, cest seulement dobtenir les résultats les plus spectaculaires pour avoir accès à des revues prestigieuses et gravir ainsi plus rapidement les divers échelons de la hiérarchie. Mais il ne faut pas attendre deux quils réfléchissent aux impacts de leurs recherches sur lagriculture dont le développement est devenu, pour eux, complètement accessoire. Il me semble quil faudrait des structures de réflexion qui aient vraiment un rôle dans les orientations. Le dirigisme évidemment ne doit pas être aussi poussé que dans certains pays de lEst, comme jai eu loccasion de le constater, où les chercheurs étaient tenus, par exemple, de trouver une pomme-de-terre à chair jaune, résistante à telle et telle maladie, de précocité bien déterminée et si, par malheur, ils trouvaient une pomme-de-terre à chair blanche, satisfaisant toutes les autres conditions, ils étaient renvoyés du laboratoire. Entre la liberté laissé aux chercheurs et la planification rigide, il y a un équilibre difficile à trouver pour éviter que les énergies et les crédits ne soient dépensés en pure perte. D.P. Avez-vous été guidé, dans les premiers travaux de recherche que vous avez entrepris sur les virus, par des observations faites par des agriculteurs ? P.C. Non. Comme je lai expliqué, cest un peu par hasard que jai été conduit à étudier la répartition du virus dans la plante pour trouver une corrélation entre la quantité dinhibiteurs et la quantité de virus. Cest ainsi que jai pu constater quil y avait de moins en moins de virus à mesure quon sélevait dans les parties jeunes de la plante. M. LIMASSET était attentif toutefois à ce que les jeunes qui lui étaient envoyés restent sensibles aux questions agricoles. Les rapports avec les professionnels étaient obligatoires. Chaque année, je participais au contrôle de pommes-de-terre (6). Jallais avec les contrôleurs nationaux pendant 2 à 3 jours et jarpentais les champs, avec eux, ne rêvant la nuit que de plants de pommes-de-terre. Ce nétait pas si facile, en effet, de repérer les maladies à virus. Les supercontrôleurs devaient avoir un il très exercé et pour arriver à "contrôler les contrôleurs", il fallait se montrer aussi très vigilant. Le travail, pénible et parfois fastidieux, permettait toutefois davoir des rapports privilégiés avec les agriculteurs et donnait des idées sur les re c h e rches à entre p re n d re pour exercer un meilleur contrôle et une meilleure sélection. Par la suite, P. LIMASSET ma demandé de moccuper des maladies du fraisier, production évidemment beaucoup moins importante que la betterave dont létude était confiée à Y. Gendron. D.P. Quelles sont les raisons qui ont motivé ce changement de matériel végétal et peut-être aussi ce changement dorientation ? P.C. La pomme-de-terre avait été déjà bien étudiée : on commençait à connaître bien tous les virus, P. LIMASSET ayant mis au point la sélection par diagnostic sérologique. Des laboratoires, capables de mettre en oeuvre cette technique, avaient été installés dans toutes les régions productrices de plants de pomme-de-terre. Les sérums quils fabriquaient arrivaient désormais à la station et cest Mlle H. Augier qui les testait pour vérifier leur efficacité. Les affaires en ce domaine avaient trouvé leur rythme de croisière et donnaient apparemment satisfaction : on avait réussi à améliorer la qualité des diagnostics et à les rendre plus rapides. La sérologie était vraiment la technique qui convenait le mieux, à condition quelle soit bien implantée et bien organisée. M. LIMASSET ma confié, vers 1955, le soin de moccuper des fraisiers qui se trouvaient alors, en France, en très piteux état. Les Anglais avaient commencé déjà à faire de la sélection sanitaire sur cette plante. Il apparaissait souhaitable de suivre leur exemple. D.P. Est-ce que les travaux que vous avez effectués sur le fraisier ont été largement une répétition de ce que vous aviez déjà réalisé sur la pomme-de-terre ? P.C. Les fraisiers avaient atteint en France un degré de contamination très important. Les virus prolifèrent, en effet, dans les plantes à multiplication végétative parce que, quand la reproduction ne se réalise pas au moyen de graines, ils contaminent les clones et se retrouvent dans les générations suivantes (7), la situation ne pouvant quempirer si on ne fait rien. Il y avait une organisation à mettre au point, comme dans le cas de la pomme-de-terre, pour distribuer aux producteurs les meilleurs plants possibles. Mais il fallait essayer de trouver également des méthodes curatives dans le but de "rattraper" des variétés contaminées, autrefois fort appréciées, comme celles dites "Mme Moutot" ou "Surprise de Halles". Il ny avait pas de variétés, en effet, qui ne fussent alors infectées. Les tests étaient toutefois très délicats à mettre en uvre parce que la transmission ne se faisait pas mécaniquement. Il fallait utiliser des pucerons pour prélever les virus et les disposer sur des fraisiers de bois qui réagissaient plus visiblement que les fraisiers cultivés. La réalisation du test réclamait beaucoup de soins. Pour trouver un remède amenant la guérison des pieds, jai eu lidée de la thermothérapie, moyen vers lequel sétaient tournés également les Anglais. Gendron qui se trouvait, à cette époque, en Angleterre chez Bawden, ma dit, à son retour, en voyant mes cages à thermothérapie : "Dépêche toi de publier ce que tu as réalisé ! Jai vu léquivalent à East Malling, tu risques de te faire doubler !" Mais je nai pas eu le temps décrire une publication sur ce sujet, East Malling en ayant sorti une, avant moi. En France, nous avions ainsi mis au point deux méthodes curatives, la thermothérapie et la culture de méristèmes qui permettait de refaire des clones sains. Actuellement, il nexiste toujours pas dautres méthodes.(. . . ) D.P. Etes-vous resté en poste, à Versailles, tout au long de votre carrière ? A-t-il été question pour vous de partir dans des régions où la culture de la fraise était économiquement plus importante ? P.C. Non, je suis resté à la station de pathologie végétale de Versailles jusquà mon départ à la retraite. Létude du fraisier à laquelle je métais attelé a perdu, en effet, progressivement de son importance quand les opérations de contrôle, de production et de multiplication des plants ont été mises en place (je nai pratiquement plus travaillé sur le fraisier, à partir des années 1965). Jai eu, par ailleurs, en charge une assez grosse équipe quil a fallu que je forme et dirige. (. . .) D.P. Vous êtes passé ainsi de travaux assez appliqués sur la lutte contre les virus de fraisiers à des questions scientifiques plus fondamentales ? P.C. La recherche appliquée à laquelle javais participé sinscrivait bien dans les missions de lINRA. Personne dautre que lINRA naurait pu, en effet, organiser, à cette époque, la sélection sanitaire du fraisier. Il fallait une autorité scientifique pour convaincre les producteurs. Lorsque lorganisation a été rodée et que les autres secteurs virus des plantes ont été couverts par de jeunes virologues, jai pu, avec un certain soulagement, me consacrer à la virologie fondamentale. Le travail que jai entrepris par la suite sur la réplication des virus ma pris à temps plein. D.P. Quels résultats avez-vous obtenu dans cette recherche de base ? P.C. Comme pour la recherche des inhibiteurs de virus qui avait conclu à labsence de virus dans les méristèmes, nous avons trouvé quelque chose dinattendu. Avec ma collaboratrice Madame Astier, nous avons cherché à isoler le mécanisme de réplication dun virus pour comprendre son fonctionnement. Cette enzyme, appelée polymérase, est codée par le virus. Brièvement, on peut dire que cette polymérase virale copie un acide nucléique viral en des milliers de chaînes identiques. Après bien des efforts, nous pensions avoir trouvé ! Il ne restait plus quà démontrer que dans les plantes saines, cet enzyme nexistait pas. Mais stupéfaction ! nous lavons retrouvée, bien quen moindre quantité. Ce nétait donc pas la polymérase virale que nous cherchions, mais une nouvelle polymérase cellulaire. Or, dans le dogme "lADN fournit de lARN qui donne des protéines", aucune polymérase ne pouvait faire de lARN sur un modèle dARN, sauf un virus. La communauté scientifique a donc haussé les épaules pendant 8 ans, certains appelant même cette enzyme "la canulase". Or, il se trouve que je connaissais assez bien un scientifique américain, membre de lAcadémie des sciences des USA, qui travaillait dans la même direction. Il a repris nos recherches et confirmé notre découverte. Publiant dans les PNAS, il a eu lhonnêteté de dire que cétait bien nous qui avions découvert ce nouvel enzyme. Du coup, toute la communauté scientifique y a cru, les confirmations ont fusé de toute part, y compris de ceux qui avaient parlé de "canulase". Pendant ces 8 années, nous avons complètement purifié lenzyme, déterminé son poids moléculaire ainsi que toutes ses propriétés, sauf sa raison dêtre qui reste encore à ce jour mal élucidée. A ma retraite, la direction de lINRA a souhaité que cette direction de recherche ne soit pas poursuivie. Mme Astier sest reconvertie dans les plantes transgéniques avec succès. Il en est peut-être très bien ainsi.D.P. Vous aviez entre-temps laissé à dautres la direction de la station ? P.C. Jai été un des plus jeunes directeurs de recherche, étant arrivé à une période où les concours étaient plus faciles que maintenant. Nommé en 1963, jai remplacé H. Darpoux (8) à la tête de la station quand il est parti en retraite. Jai exercé la fonction de directeur de la station, pendant 5 ans, et ai été très heureux au moment où D. Spire, puis Monique Lemattre mont remplacé. Jai continué toutefois à assurer la formation des virologues. Jean Dunez qui est aujourdhui chef de département, est passé par la station de Versailles avant dêtre envoyé Bordeaux ainsi quHervé Lecoq, brillant virologiste à Avignon. (. . .) Renvois et Curriculum vitæ de Pierre Cornuet : Notes (renvois numérotés) (. . .) indique les parties retirées du texte original.(2) Averti un beau jour, A. Vuittenez qui était initialement un mycologue a dû préparer rapidement ses valises pour partir la semaine suivante à Colmar. Ayant construit sur place des serres par ses propres moyens, il sest spécialisé, par la suite, dans des études virologiques. (3) Ce jeune Agro qui avait été formé pour prendre la succession de P. Limasset est hélas mort prématurément, à la suite dun accident de montagne. (4) P. Cornuet, 1959, Les virus des plantes cultivées et les méthodes de lutte, INRA. (5) Je dois avouer que je ne l'ai pas écrit, parce que j'estimais que sa parution me semblait indispensable (cela aurait dû être à P. Limasset d'en écrire un plutôt que moi qui n'avais fait que 10 ans de recherche) mais plutôt parce que c'était une façon de m'occuper plus utilement que de bricoler avec des moyens insuffisants ! (6) Je suis devenu, plus tard, membre de la Commission officielle de contrôle. (7) Un tubercule de pomme-de-terre infecté continuera à donner des tubercules infectés. Il en est de même des fraisiers qui se reproduisent par stolons. Un pied mère malade engendrera toujours des pieds malades. (8) H. Darpoux avait lui même succédé à Limasset. Mycologue, il navait jamais cherché à réduire les crédits des virologues, leur laissant une grande liberté.
Curriculum vitæ sommaire de Pierre Cornuet : Carrière administrative : 1948 : Agent technique à la Station de Pathologie Végétale de Versailles, payé par la Fédération Nationale des Producteurs de Plants de pomme de terre. 1950 : Assistant stagiaire. 1951 : Assistant titulaire. 1954 : Chargé de recherches à lINRA. 1962 : Directeur adjoint de recherches. 1963 : Directeur de recherches à lINRA. 1985 : Départ à la retraite. u Fonctions exercées : 1958 : Membre de la Commission officielle de contrôle du plant de pomme de terre et de fraisier. 1962 : Membre du Comité consultatif de la Protection des Végétaux. 1975-80 : Directeur de la Station de Pathologie végétale de Versailles. (Poste déjà occupé par P. Limasset) Travail effectué en dehors de lINRA : 1987 : début du travail à lUnité 268 de lINSERM, hôpital Paul Brousse à Villejuif. 1991 : Début de la rédaction de louvrage sur le SIDA.
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