Propos ou il est question du Professeur Pierre LIMASSET

(Extrait d’un texte sur la Carrière de Pierre CORNUET )

Le Site "Pierre Limasset" remercie Pierre Cornuet et les Archorales,
de l'avoir autorisé, en juin et septembre 2002,  à publier ces extraits.


 

Extrait des ARCHORALES-INRA 

– CASSETTES DAT N° 118-1 ET 118-2

Propos recueillis par D. Poupardin

Cornuet Pierre, ancien Directeur de la Station de Pathologie végétale de Versailles

Viroflay, le 12 Novembre 1996

Ancien Directeur de la Station de Pathologie végétale de Versailles.

 

P.C. — Je suis né le 27 Mars 1925. Ma mère est née en Russie qu’elle a dû quitter avec sa propre mère, dans des conditions très douloureuses, après la révolution de 1917. Elle avait fait la connaissance, en Allemagne, de mon père qui avait été blessé au visage durant la guerre. Celui-ci venait de la Marne et était d’origine très modeste. Mes parents se trouvaient dans une situation assez démunie, au sortir de la guerre. Mon père n’avait, en effet, au départ, que sa solde de lieutenant mais, par un travail acharné, il a pu monter progressivement dans l’échelle sociale. J’ai bénéficié beaucoup de l’expérience de mes parents, étant le fils unique sur lequel ils avaient reporté toute leur affection. J’ai fait des études secondaires assez médiocres. Ma mère attribuait mes difficultés scolaires au fait que ma grand-mère maternelle vivait avec nous et que nous parlions à la maison à la fois en russe, en allemand et en français. Mes résultats se sont améliorés, en 1944, au moment où je suis entré à l’IAT (Institut Agricole de Toulouse) qui est devenu, par la suite, l’ENSA (École nationale supérieure agronomique). J’ai trouvé enfin ma voie, ayant toujours bien aimé la nature et le travail dans les exploitations agricoles. Les études, dans cet institut, s’échelonnaient alors sur 2 ans et demi. A la fin de la troisième année, il y avait une petite thèse à soutenir. La mienne a porté sur l’étude de la symbiose bactérienne des légumineuses.

Il s’agissait d’un travail très personnel que j’avais effectué dans un petit laboratoire de la Faculté des sciences de Toulouse. J’avais appris, tout seul, les techniques de stérilisation et de repiquage de bactéries, la fabrication des plaques de silicogel. Cela a été une période heureuse.

( . . .)

D.P. — La plupart des camarades de votre promotion se destinaient plutôt à des carrières dans des exploitations agricoles ou des organismes para-agricoles. Pour quelles raisons vous êtes-vous orienté en 1947, à votre sortie de l’école, dans une toute autre direction ?

(. . . )

Un jour, mon père qui lisait régulièrement le Journal Officiel m’a fait savoir qu’un concours d’assistant allait prochainement être ouvert dans un certain "Institut de recherche agronomique". Bien que ne sachant pas de quoi il s’agissait, je me suis rendu à l'adresse indiquée, dans des locaux qui ne devaient pas encore être ceux de la rue Képler et suis tombé dans l’escalier sur Marc Ridet. M’ayant dit que le concours prévu était plutôt destiné à des gens qui faisaient déjà partie de la maison, il m’a signalé toutefois que Pierre LIMASSET cherchait un jeune et que je serais avisé de le rencontrer. J'ai suivi son conseil et ai pris rendez-vous avec LIMASSET, à Versailles. Comme celui-ci m’avait demandé ce que j’avais essayé de faire dans ma thèse, je le lui ai expliqué. Il m’a dit plus tard que c’est ce que je lui avais exposé au cours de cet entretien qui l’avait décidé à me recruter. 3 jours après, j’ai reçu effectivement une lettre m’avisant que j’étais embauché comme agent technique, sur un fonds de concours accordé par la Fédération des producteurs de plants de pommes-de-terre. Ce statut était, certes, instable mais j’avais mis le pied enfin dans un laboratoire ! C’est ainsi que je suis entré à l’INRA, le 6 Février 1948, étant payé 17 000 "anciens" francs par mois, à mes yeux un pactole !

( . . .)

D.P. — Comment avez-vous été reçu, à Versailles, dans le laboratoire qui vous avait été affecté ?  Pourriez-vous parler de Pierre LIMASSET qui vous avait embauché ?

P.C. — P. LIMASSET était un personnage très attachant : il était sérieux et très droit, n’admettant pas de manquements de la part de ceux qui travaillaient avec lui. Les graves problèmes qui se sont posés dans sa station l’ont beaucoup affecté. En entrant dans la station centrale de pathologie végétale, je comptais faire de la bactériologie, puisque je m’étais occupé précédemment de microorganismes. Mais LIMASSET qui venait d’en prendre la direction, en remplacement de Gabriel Arnaud, m’a déclaré de sa voix grave : "Cornuet, vous ferez de la virologie !" A Toulouse, les virus ? personne ne connaissait ! Le cours qu’on avait eu avait été si vite expédié que je n’y avais porté aucun intérêt. J’ai répondu toutefois à LIMASSET que je ferai comme il le souhaitait. Il était avant tout un professeur. C’était un enseignant remarquable dont les cours à l’école d’horticulture et à l’ORSTOM étaient suivis par tous les chercheurs de sa station. Grâce à lui, j’ai pu apprendre très vite les premiers rudiments de la virologie.

D.P. — Combien de personnes y avait-il alors dans la station de pathologie, au moment où vous y êtes entré ?

P.C. — Une trentaine de personnes, mais en virologie, nous étions très peu nombreux. Il n’y avait, en effet, dans ce domaine, que Mlle Hélène Augier qui était un peu son bras droit (elle vient juste, hélas, de décéder !), André Vuittenez qui est parti très vite à Colmar pour remplacer M. Selariès, à la tête de la station (2), Yves Gendron (3) qui avait été recruté en même temps que moi.

 

D.P. — Comment la station de pathologie végétale, dans laquelle vous étiez entré, était-elle organisée ?

P.C. — Elle était formée de 3 grands services : la mycologie, la bactériologie et la virologie. LIMASSET essayait de développer ce dernier secteur dont son prédécesseur mycologue n’avait jamais voulu entendre parler. Gabriel Arnaud s’était insurgé auprès la Direction générale quand il avait appris que LIMASSET piquait des lapins pour essayer d’obtenir un diagnostic sérologique des virus de la pomme de terre et de la betterave. C’est LIMASSET qui a mis au point la technique que la Fédération des producteurs des plants de pommes-de-terre a par la suite utilisée. La Fédération a installé, en effet, des laboratoires dans les diverses régions où des plants de pomme de terre étaient cultivés pour leur appliquer des tests sérologiques. J’ai travaillé pendant une dizaine d’années avec P. LIMASSET, comme directeur, mais sa mauvaise santé l’a contraint, en 1956, de quitter Versailles et de postuler à un poste de professeur de pathologie et de botanique, à Montpellier. Par la force des choses, je me suis retrouvé ainsi, très tôt, à la tête du service de virologie. Il se trouve que les années soixante ont permis à l’INRA d’effectuer beaucoup de nouveaux recrutements. C'est ce qui m'a permis de constituer autour de moi une petite équipe.

D.P. — La domination écrasante de la mycologie au sein de la station de pathologie végétale a-t-elle ôté longtemps toute chance de développement aux études virologiques ?

P.C. — Pendant un moment, je me suis demandé si cette direction de recherches allait pouvoir se développer. Pendant qu’il était aux États-Unis, Georges Morel, avec qui j’avais travaillé pendant un temps, m’avait confié le soin de surveiller ses cultures de tissu. Ce travail, assez absorbant, m’avait apporté, en retour, beaucoup de choses au plan scientifique. Mais, à son retour, G. Morel a quitté la pathologie et je n’ai plus eu l’occasion de travailler avec lui. Y. Gendron était parti. Il y a eu, en conséquence, toute une époque où je me suis trouvé un peu livré à moi même. Comme la virologie réclamait de plus en plus de moyens (que je n'avais pas) et s’orientait de plus en plus vers des aspects biochimiques, j'ai entrepris d'écrire un livre de virologie (4), à partir des centaines de fiches que j'avais remplies et accumulées, pendant 10 ans. Cet ouvrage que j'ai écrit, à une époque où mes perspective de travail se trouvaient assez bouchées (5) m'a beaucoup servi, par la suite, dans ma carrière. Constatant qu'il avait du succès auprès du public et qu'il se vendait bien, Jean Bustarret m’a fait confiance et m'a envoyé des jeunes pour former une petite équipe.

D.P. — Les études virologiques étaient-elles plus développées, à l'époque, à l'Institut Pasteur ?

P.C. — Non, à Pasteur, il n'y avait que M. Segretain qui faisait un peu de virologie végétale, dans un tout petit laboratoire. Il y avait Lépine qui supervisait, en revanche, tout ce qui se faisait en matière de virologie humaine. Comme LIMASSET s'entendait bien avec lui, il acceptait de nous faire parfois des photos au microscope électronique quand nous en avions besoin. Mais, en réalité, ce qui nous manquait le plus pour effectuer des recherches plus approfondies, c'était l'ultracentrifugation. Il y avait, certes, une ultracentrifugeuse imposante à l'Institut Pasteur, mais elle était déjà très utilisée et il était difficile d'y avoir accès. Tant qu'il n'y a pas eu d’ultracentrifugeuse à l'INRA, les recherches virologiques étaient condamnées à demeurer à un niveau très rudimentaire.

D.P. — Recruté par les producteurs de plants de pomme-de-terre, j'imagine que vos premiers travaux ont porté sur les maladies qui affectaient la production de ce tubercule ?

P.C. — Il faut reconnaître que la virologie végétale est restée longtemps centrée sur la pomme-de-terre. C'était, en effet, sur cette plante, qu'on observait les pertes de rendement les plus substantielles occasionnées par les maladies virales. LIMASSET n'avait travaillé que sur la pomme-de-terre au cours de sa carrière, mais il avait entrevu la nécessité d'élargir l'étude des maladies virales à d'autres plantes. Quelques années après moi, il a recruté Guy Morvan pour étudier les virus des arbres fruitiers. Mais celui-ci est parti très rapidement à Avignon.

D.P. — Vos travaux sur les maladies virales de la pomme-de-terre sont-ils passés, en quelques années, d'une phase descriptive à une phase plus analytique ?

P.C. — La démarche a été un peu différente. P. LIMASSET nous donnait un cadre général et, s’il nous imposait bien de faire certaines expériences auxquelles il tenait, il nous laissait une très grande liberté. Je suis parti de l’idée qu’il fallait trouver des molécules qui soient capables de détruire les virus. Or, j’avais lu le travail d’un allemand qui avait extrait des plantes certaines substances qui s’opposaient à la multiplication des virus. Pour montrer que les effets annoncés étaient bien réels, je me suis dit qu’il fallait que j’observe ce qui se passait aux divers niveaux d’un plant de tabac, infecté par la mosaïque du tabac, le virus expérimental le plus facile à utiliser. Y avait-il une corrélation entre la quantité du produit inhibiteur extrait d’un plant de tabac et la quantité de virus dans les divers niveaux de la plante ? J’ai montré à LIMASSET, à son retour de vacances, les résultats que j’avais obtenus en ce domaine : la quantité de virus diminuait en passant des feuilles les plus âgées au bourgeon. LIMASSET ne s’intéressait pas du tout à la nature de l’inhibiteur, alors que je n’avais que cela en tête. Mais il a trouvé tout de suite que mes résultats étaient fort intéressants : "Et s’il n’y avait pas de virus dans les méristèmes ?" Et c’est lui qui m’a poussé à vérifier qu’il n’y avait pas de virus dans cette partie de la plante. J’ai écrit à G. Morel qui était alors aux États-Unis pour lui expliquer la découverte que j'avais faite. J’ai reçu de lui une réponse enthousiaste : "C’est formidable ! On sait à présent cultiver des méristèmes. On va pouvoir régénérer complètement des variétés infectées par culture de méristèmes !" J’ai peu participé aux études qui ont suivi, car Claude Martin qui avait été recruté 2 ou 3 ans après moi m’a reproché, à son retour du service militaire, de vouloir garder pour moi les recherches intéressantes sur les méristèmes pour ne lui laisser que des questions mineures à étudier. Je lui ai dit finalement excédé : "Si tu le souhaites, prends les méristèmes ! Je ne veux plus m’en occuper. Je m’intéresse davantage à la biochimie qu’à la dissection des méristèmes. Continue, puisque tu le souhaites, ce travail avec G. Morel !" C’est ainsi que C. Martin a poursuivi avec G. Morel le travail de production de plantes sans virus, régénérées à partir de la culture de méristèmes. Je profite de cette occasion pour dire que l’INRA n’a jamais été, à mon sens, assez dirigiste dans ses recherches. J’ai eu l’impression durant toute ma vie que ses dirigeants m’ont laissé faire tout ce que je voulais. Leur confiance a-t-elle été toujours bien placée ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais quand je vois cette histoire actuelle de "la vache folle", il me semble qu’on aurait pu quand même prévoir qu’en donnant à manger aux vaches de la "poudre de vache", il y aurait tôt ou tard des problèmes qui se poseraient ! Il est assez curieux que rien n’ait été fait pour anticiper sur les événements. C’est vraiment avoir fait un peu la politique de l’autruche ! La question se pose aujourd’hui avec acuité pour les plantes transgéniques. Transformer toutes les plantes ? J’espère bien qu’on ne va quand même pas laisser les chercheurs faire, en ce domaine, tout ce qu’il leur passe par la tête. Car je le vois bien aujourd’hui avec un peu de recul : ce dont ceux-ci ont envie, c’est seulement d’obtenir les résultats les plus spectaculaires pour avoir accès à des revues prestigieuses et gravir ainsi plus rapidement les divers échelons de la hiérarchie. Mais il ne faut pas attendre d’eux qu’ils réfléchissent aux impacts de leurs recherches sur l’agriculture dont le développement est devenu, pour eux, complètement accessoire. Il me semble qu’il faudrait des structures de réflexion qui aient vraiment un rôle dans les orientations. Le dirigisme évidemment ne doit pas être aussi poussé que dans certains pays de l’Est, comme j’ai eu l’occasion de le constater, où les chercheurs étaient tenus, par exemple, de trouver une pomme-de-terre à chair jaune, résistante à telle et telle maladie, de précocité bien déterminée et si, par malheur, ils trouvaient une pomme-de-terre à chair blanche, satisfaisant toutes les autres conditions, ils étaient renvoyés du laboratoire. Entre la liberté laissé aux chercheurs et la planification rigide, il y a un équilibre difficile à trouver pour éviter que les énergies et les crédits ne soient dépensés en pure perte.

D.P. — Avez-vous été guidé, dans les premiers travaux de recherche que vous avez entrepris sur les virus, par des observations faites par des agriculteurs ?

P.C. — Non. Comme je l’ai expliqué, c’est un peu par hasard que j’ai été conduit à étudier la répartition du virus dans la plante pour trouver une corrélation entre la quantité d’inhibiteurs et la quantité de virus. C’est ainsi que j’ai pu constater qu’il y avait de moins en moins de virus à mesure qu’on s’élevait dans les parties jeunes de la plante. M. LIMASSET était attentif toutefois à ce que les jeunes qui lui étaient envoyés restent sensibles aux questions agricoles. Les rapports avec les professionnels étaient obligatoires. Chaque année, je participais au contrôle de pommes-de-terre (6). J’allais avec les contrôleurs nationaux pendant 2 à 3 jours et j’arpentais les champs, avec eux, ne rêvant la nuit que de plants de pommes-de-terre. Ce n’était pas si facile, en effet, de repérer les maladies à virus. Les supercontrôleurs devaient avoir un œil très exercé et pour arriver à "contrôler les contrôleurs", il fallait se montrer aussi très vigilant. Le travail, pénible et parfois fastidieux, permettait toutefois d’avoir des rapports privilégiés avec les agriculteurs et donnait des idées sur les re c h e rches à entre p re n d re pour exercer un meilleur contrôle et une meilleure sélection. Par la suite, P. LIMASSET m’a demandé de m’occuper des maladies du fraisier, production évidemment beaucoup moins importante que la betterave dont l’étude était confiée à Y. Gendron.

D.P. — Quelles sont les raisons qui ont motivé ce changement de matériel végétal et peut-être aussi ce changement d’orientation ?

P.C. — La pomme-de-terre avait été déjà bien étudiée : on commençait à connaître bien tous les virus, P. LIMASSET ayant mis au point la sélection par diagnostic sérologique. Des laboratoires, capables de mettre en oeuvre cette technique, avaient été installés dans toutes les régions productrices de plants de pomme-de-terre. Les sérums qu’ils fabriquaient arrivaient désormais à la station et c’est Mlle H. Augier qui les testait pour vérifier leur efficacité. Les affaires en ce domaine avaient trouvé leur rythme de croisière et donnaient apparemment satisfaction : on avait réussi à améliorer la qualité des diagnostics et à les rendre plus rapides. La sérologie était vraiment la technique qui convenait le mieux, à condition qu’elle soit bien implantée et bien organisée. M. LIMASSET m’a confié, vers 1955, le soin de m’occuper des fraisiers qui se trouvaient alors, en France, en très piteux état. Les Anglais avaient commencé déjà à faire de la sélection sanitaire sur cette plante. Il apparaissait souhaitable de suivre leur exemple.

D.P. — Est-ce que les travaux que vous avez effectués sur le fraisier ont été largement une répétition de ce que vous aviez déjà réalisé sur la pomme-de-terre ?

P.C. — Les fraisiers avaient atteint en France un degré de contamination très important. Les virus prolifèrent, en effet, dans les plantes à multiplication végétative parce que, quand la reproduction ne se réalise pas au moyen de graines, ils contaminent les clones et se retrouvent dans les générations suivantes (7), la situation ne pouvant qu’empirer si on ne fait rien. Il y avait une organisation à mettre au point, comme dans le cas de la pomme-de-terre, pour distribuer aux producteurs les meilleurs plants possibles. Mais il fallait essayer de trouver également des méthodes curatives dans le but de "rattraper" des variétés contaminées, autrefois fort appréciées, comme celles dites "Mme Moutot" ou "Surprise de Halles". Il n’y avait pas de variétés, en effet, qui ne fussent alors infectées. Les tests étaient toutefois très délicats à mettre en œuvre parce que la transmission ne se faisait pas mécaniquement. Il fallait utiliser des pucerons pour prélever les virus et les disposer sur des fraisiers de bois qui réagissaient plus visiblement que les fraisiers cultivés. La réalisation du test réclamait beaucoup de soins. Pour trouver un remède amenant la guérison des pieds, j’ai eu l’idée de la thermothérapie, moyen vers lequel s’étaient tournés également les Anglais. Gendron qui se trouvait, à cette époque, en Angleterre chez Bawden, m’a dit, à son retour, en voyant mes cages à thermothérapie : "Dépêche toi de publier ce que tu as réalisé ! J’ai vu l’équivalent à East Malling, tu risques de te faire doubler !" Mais je n’ai pas eu le temps d’écrire une publication sur ce sujet, East Malling en ayant sorti une, avant moi. En France, nous avions ainsi mis au point deux méthodes curatives, la thermothérapie et la culture de méristèmes qui permettait de refaire des clones sains. Actuellement, il n’existe toujours pas d’autres méthodes.

(. . . )

D.P. — Etes-vous resté en poste, à Versailles, tout au long de votre carrière ? A-t-il été question pour vous de partir dans des régions où la culture de la fraise était économiquement plus importante ?

P.C. — Non, je suis resté à la station de pathologie végétale de Versailles jusqu’à mon départ à la retraite. L’étude du fraisier à laquelle je m’étais attelé a perdu, en effet, progressivement de son importance quand les opérations de contrôle, de production et de multiplication des plants ont été mises en place (je n’ai pratiquement plus travaillé sur le fraisier, à partir des années 1965). J’ai eu, par ailleurs, en charge une assez grosse équipe qu’il a fallu que je forme et dirige.

(. . .)

D.P. — Vous êtes passé ainsi de travaux assez appliqués sur la lutte contre les virus de fraisiers à des questions scientifiques plus fondamentales ?

P.C. — La recherche appliquée à laquelle j’avais participé s’inscrivait bien dans les missions de l’INRA. Personne d’autre que l’INRA n’aurait pu, en effet, organiser, à cette époque, la sélection sanitaire du fraisier. Il fallait une autorité scientifique pour convaincre les producteurs. Lorsque l’organisation a été rodée et que les autres secteurs virus des plantes ont été couverts par de jeunes virologues, j’ai pu, avec un certain soulagement, me consacrer à la virologie fondamentale. Le travail que j’ai entrepris par la suite sur la réplication des virus m’a pris à temps plein.

D.P. — Quels résultats avez-vous obtenu dans cette recherche de base ?

P.C. — Comme pour la recherche des inhibiteurs de virus qui avait conclu à l’absence de virus dans les méristèmes, nous avons trouvé quelque chose d’inattendu. Avec ma collaboratrice Madame Astier, nous avons cherché à isoler le mécanisme de réplication d’un virus pour comprendre son fonctionnement. Cette enzyme, appelée polymérase, est codée par le virus. Brièvement, on peut dire que cette polymérase virale copie un acide nucléique viral en des milliers de chaînes identiques. Après bien des efforts, nous pensions avoir trouvé ! Il ne restait plus qu’à démontrer que dans les plantes saines, cet enzyme n’existait pas. Mais stupéfaction ! nous l’avons retrouvée, bien qu’en moindre quantité. Ce n’était donc pas la polymérase virale que nous cherchions, mais une nouvelle polymérase cellulaire. Or, dans le dogme "l’ADN fournit de l’ARN qui donne des protéines", aucune polymérase ne pouvait faire de l’ARN sur un modèle d’ARN, sauf un virus. La communauté scientifique a donc haussé les épaules pendant 8 ans, certains appelant même cette enzyme "la canulase". Or, il se trouve que je connaissais assez bien un scientifique américain, membre de l’Académie des sciences des USA, qui travaillait dans la même direction. Il a repris nos recherches et confirmé notre découverte. Publiant dans les PNAS, il a eu l’honnêteté de dire que c’était bien nous qui avions découvert ce nouvel enzyme. Du coup, toute la communauté scientifique y a cru, les confirmations ont fusé de toute part, y compris de ceux qui avaient parlé de "canulase". Pendant ces 8 années, nous avons complètement purifié l’enzyme, déterminé son poids moléculaire ainsi que toutes ses propriétés, sauf sa raison d’être qui reste encore à ce jour mal élucidée. A ma retraite, la direction de l’INRA a souhaité que cette direction de recherche ne soit pas poursuivie. Mme Astier s’est reconvertie dans les plantes transgéniques avec succès. Il en est peut-être très bien ainsi.

D.P. — Vous aviez entre-temps laissé à d’autres la direction de la station ?

P.C. — J’ai été un des plus jeunes directeurs de recherche, étant arrivé à une période où les concours étaient plus faciles que maintenant. Nommé en 1963, j’ai remplacé H. Darpoux (8) à la tête de la station quand il est parti en retraite. J’ai exercé la fonction de directeur de la station, pendant 5 ans, et ai été très heureux au moment où D. Spire, puis Monique Lemattre m’ont remplacé. J’ai continué toutefois à assurer la formation des virologues. Jean Dunez qui est aujourd’hui chef de département, est passé par la station de Versailles avant d’être envoyé Bordeaux ainsi qu’Hervé Lecoq, brillant virologiste à Avignon.

(. . .)

Renvois et Curriculum vitæ de Pierre Cornuet :

Notes (renvois numérotés)

(. . .) indique les parties retirées du texte original.

(2) Averti un beau jour, A. Vuittenez qui était initialement un mycologue a dû préparer rapidement ses valises pour partir la semaine suivante à Colmar. Ayant construit sur place des serres par ses propres moyens, il s’est spécialisé, par la suite, dans des études virologiques.

(3) Ce jeune Agro qui avait été formé pour prendre la succession de P. Limasset est hélas mort prématurément, à la suite d’un accident de montagne.

(4) P. Cornuet, 1959, Les virus des plantes cultivées et les méthodes de lutte, INRA.

(5) Je dois avouer que je ne l'ai pas écrit, parce que j'estimais que sa parution me semblait indispensable (cela aurait dû être à P. Limasset d'en écrire un plutôt que moi qui n'avais fait que 10 ans de recherche) mais plutôt parce que c'était une façon de m'occuper plus utilement que de bricoler avec des moyens insuffisants !

(6) Je suis devenu, plus tard, membre de la Commission officielle de contrôle.

(7) Un tubercule de pomme-de-terre infecté continuera à donner des tubercules infectés. Il en est de même des fraisiers qui se reproduisent par stolons. Un pied mère malade engendrera toujours des pieds malades.

(8) H. Darpoux avait lui même succédé à Limasset. Mycologue, il n’avait jamais cherché à réduire les crédits des virologues, leur laissant une grande liberté.

 

Curriculum vitæ sommaire de Pierre Cornuet :

Carrière administrative :

– 1948 : Agent technique à la Station de Pathologie Végétale de Versailles, payé par la Fédération Nationale des Producteurs de Plants de pomme de terre.

– 1950 : Assistant stagiaire.

– 1951 : Assistant titulaire.

– 1954 : Chargé de recherches à l’INRA.

– 1962 : Directeur adjoint de recherches.

– 1963 : Directeur de recherches à l’INRA.

– 1985 : Départ à la retraite.

u Fonctions exercées :

– 1958 : Membre de la Commission officielle de contrôle du plant de pomme de terre et de fraisier.

– 1962 : Membre du Comité consultatif de la Protection des Végétaux.

– 1975-80 : Directeur de la Station de Pathologie végétale de Versailles. (Poste déjà occupé par P. Limasset)

        Travail effectué en dehors de l’INRA :

– 1987 : début du travail à l’Unité 268 de l’INSERM, hôpital Paul Brousse à Villejuif.

– 1991 : Début de la rédaction de l’ouvrage sur le SIDA.

 




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