Pierre CORNUET raconte " Pierre LIMASSET "

 


 

Quelques souvenirs sur Pierre LIMASSET, Directeur de la Station Centrale de Pathologie Végétale à Versailles.
 

Pour comprendre l’œuvre scientifique de Pierre Limasset, il faut faire un état de la pathologie végétale en France en 1935.

La connaissance des virus des plantes avait pris un grand essor aux États-Unis et en Angleterre. Stanley obtint le prix Nobel pour la cristallisation du virus de la Mosaïque du Tabac. Bawden et Pirie montraient que les virus étaient constitués d’un acide nucléique et d’une protéine. En France, aucun laboratoire n’avait abordé l’étude des virus des plantes; seuls les virus de l’homme et de l’animal étaient travaillés par Pierre Lépine à Pasteur.

La pathologie végétale se limitait à la mycologie, essentiellement descriptive, un pathologiste n’avait besoin que d’un microscope, un crayon et une gomme, pour dessiner et décrire les champignons microscopiques. La culture des parasites en milieu artificiel, nécessitant autoclave et étuves, était certes mis en œuvre depuis Pasteur, mais n’avait pas donné de résultats vraiment intéressants, car les principaux champignons tels que les rouilles ou les mildious ne pouvaient se cultiver.

P. Limasset, à qui on avait donné comme sujet de recherche le mildiou de la pomme de terre, comprit très vite que sur cette plante, ce sont essentiellement les virus qui causent les pertes de production les plus régulières et les plus importantes.

Un voyage aux États-Unis confirma son opinion et on peut citer ici une anecdote. La traversée des États-Unis se faisait en train, les distances nécessitant des jours et des nuits de voyage; une nuit, la couchette de P. Limasset se détacha et il tomba sur la dame qui occupait la couchette inférieure, celle-ci ne fût heureusement nullement contusionnée, mais déclara avec véhémence que P. Limasset l’avait fait exprès et le lui reprocha pendant tout le voyage. Notre directeur nous raconta son aventure en déclarant avec sa voix grave: " C’était d’autant plus ridicule, que cette dame n’avait rien de séduisant ".

Donc, persuadé que la pomme de terre avait surtout besoin de virologues, P. Limasset créa un service de virologie végétale à la station de pathologie végétale de Versailles et il le créa envers et contre tous, car son directeur, Gabriel Arnaud, mycologue forcené, y était résolument opposé. Lorsque P. Limasset entreprit de faire la sérologie des virus, son directeur se plaignit à la direction centrale de la recherche en disant qu’il était parfaitement inadmissible qu’un chercheur en pathologie végétale pique les oreilles des lapins!

Lorsque Je commençais à travailler en virologie, Arnaud venait encore de temps en temps à son laboratoire, je le rencontrais dans le couloir et je le saluais toujours très respectueusement, mais lui détournait la tête et n’a jamais répondu à mon salut car j’étais un affreux virologue.

C’est donc dans ce contexte que fut créé le service des virus, qui en fait ne comptait à l’époque que P. Limasset et sa première assistante Mlle Augier. La principale difficulté consistait à équiper le laboratoire avec des crédits plus que restreints: une serre à compartiments pour multiplier les plantes tests et les virus sans les mélanger, une centrifugeuse pour clarifier des jus de plantes, un congélateur pour conserver les sérums et les virus, c’était une vraie révolution en pathologie.

Après avoir isolé les principaux virus de la pomme de terre existants en France X. Y. A, (excepté virus de l’enroulement) il eut l’idée, probablement naturelle pour lui, je crois que son père était médecin (1), de mettre au point le diagnostic sérologique et de le faire appliquer dans des laboratoires de campagne installés au centre de zones de production de plants de pomme de terre. Il rendit le test très commode et rapide en imaginant d’observer la réaction antigène-anticorps non pas en tube, mais au microscope à fond noir; on mélangeait simplement sur la lame de verre une goutte de jus de plante et une goutte de sérum antivirus et instantanément, on pouvait savoir si la plante était infectée.

À cette époque (1948), nous travaillions, bien sûr, le samedi comme les autres jours de la semaine. Un vendredi, P. Limasset me prévint qu’il y avait un problème au laboratoire de diagnostic de Quimper et qu’il fallait aller le résoudre sur place. Nous prîmes donc le train de Bretagne le samedi soir et étions au travail toute la journée du dimanche avec comme intermède, la messe et un bon déjeuner de langouste. Le retour à Paris se fit avec le train de nuit du dimanche, qui à cette époque s’arrêtait à Versailles le lundi matin. En descendant du train, P. Limasset me dit : " je passe chez moi rue de l’orangerie pour me débarbouiller, vous allez directement à la station, n’est-ce pas ? - Oui Monsieur ! - Le lundi soir, après avoir quitté mon lit depuis 60 heures, on eût pas besoin de me bercer et je pense que pour P. Limasset, cela a du être de même. Mais le résultat, c’est que nous n’avions pas perdu une journée de travail à la station.

P. Limasset nous faisait confiance dans les recherches et nous laissait une assez grande liberté; il n’était pas sur notre dos pour nous demander ce que nous faisions ou ce que nous avions découvert, mais il savait faire respecter la discipline, personne n’arrivait en retard, personne ne partait en avance. La recherche est un service de l’état payé par les contribuables, il faut que le pathologiste soit vraiment au service de l’agriculture et sans grand discours, il nous le faisait comprendre. 

Notre directeur était aussi un remarquable professeur, il dispensait des cours à l’école d’horticulture et tous les samedis, nous avions des conférences qu’il donnait aux élèves de I’ORSTOM, c’était remarquable de clarté, de précision et toujours exprimé en un excellent français, à la fin des cours nous avions vraiment envie d’applaudir.

Un soir, il devait faire une conférence à la faculté de médecine et Gendron et moi, ses deux assistants, nous l’accompagnions et portions les documents du maître; mais à la fin de la séance, dans la rue, il nous confia toujours avec sa voix grave: " j’ai été très mauvais ". En fait que s’était-il passé ? À un moment de son exposé, il avait lancé: " la jaunisse du navet est une maladie très grave " alors, il y eut un éclat de rire général de la part des médecins et des carabins et il avait été un peu déstabilisé. La jaunisse du navet avait fait rigoler la faculté, mais son discours était, malgré tout, très convenable.

Limasset rerédigeait toutes les publications que nous lui soumettions et incontestablement, c’était beaucoup mieux ainsi. Je dois dire que j’ai été le premier étonné, alors seulement dans ma première année de recherche, d’accéder ainsi au compte-rendu de l’Académie des Sciences.

A part les virus de la pomme de terre, qui étaient la raison première du Service des virus, il initia les études sur les virus de la betterave, du fraisier et des dahlias. Il recruta G. Morvan pour commencer l’étude des virus des arbres fruitiers. Limasset dirigeait la station avec beaucoup d’honnêteté et malgré les difficultés financières, il ne privilégia pas plus le service des virus que les autres services, son futur successeur, H. Darpoux put monter avec A. Faivre un important service de recherche d’antibiotiques. Georges Morel développa à la station un laboratoire de culture des tissus végétaux, ces deux services étaient pourtant très spéculatifs. J. Ponchet vint renforcer le laboratoire des céréales dirigé par Lansade. M Guntz devait s’occuper des maladies de conservation de la pomme de terre. 

Le directeur supervisait aussi les stations de Bordeaux et de Colmar et il dut se priver d’un assistant valeureux en la personne de A. Vuittenez pour l’envoyer à Colmar lors de la mise en retraite du directeur local.

P. Limasset avait aussi grand soin d’entretenir et de développer la très belle bibliothèque de la station, qui incontestablement, était la plus importante bibliothèque de pathologie végétale en France. Elle contenait le fond d’Édouard Prillieux, ainsi que de très beaux livres anciens de mycologie. Les livres modernes y trouvèrent leur place. Les échanges s’effectuaient avec toutes les bibliothèques analogues dans le monde entier et tout était classé, fiché, indexé avec soin; avec la bibliothèque centrale, la bibliothèque de pathologie permettait de faire toute la documentation pour des recherches de pointe et les chercheurs, les stagiaires et les visiteurs étrangers étaient nombreux à la fréquenter. 

P. Limasset rédigea seul ou en collaboration, trois ouvrages qui constituent le fondement de la pathologie végétale moderne, ils ont certainement suscité des vocations, en tout cas, la mienne.

P. Limasset était d’une honnêteté scrupuleuse à tous les points de vue et il fût certainement très affecté par l’obligation qu’il eut de faire comparaître en conseil de discipline un chercheur dont il avait probablement pensé faire un jour son dauphin.

Je pense que cette histoire, augmentée d’un état de santé de plus en plus précaire, précipita son départ pour Montpellier où le climat lui permit de faire épanouir ses remarquables qualités d’enseignant et où il continua des recherches personnelles sur les inhibiteurs de virus.

A coté de son aspect austère, réservé, profondément réfléchi, notre directeur ne manquait pas d’humour, il avait le sens du raccourci. Lorsqu’il devint évident que l’ADN transportait les informations génétiques, il nous dit: " C’est très grave ! Supposez qu’un moustique pique le concierge, puis pique votre femme, alors il ne faudra pas vous étonner si votre futur enfant ressemble au concierge ! ".

Ces quelques souvenirs sur Pierre Limasset ne disent que très peu de lui-même; c’était un scientifique, mais il ne cherchait certainement pas seulement l’extérieur des phénomènes. Lors d’un concours de chargé de recherches, il proposa comme sujet d’écrit: " Le rôle de l’intuition dans la démarche scientifique ". Le jury fût enthousiaste, je ne sais comment réagirent les candidats. Peut-être que Pierre Limasset pensa y trouver des éléments de réponse aux questions autrement plus cruciales que celles posées par les maladies des plantes.

 

Pierre CORNUET

Ancien Directeur de la Station Centrale de Pathologie Végétale de Versailles

Juin 2002, pour le Site "Pierre Limasset"

© conditions requises pour copier certains textes.

 

(1) Le père de Pierre Limasset, André, était en fait ingénieur à la Maison Alliot et Rol. Il était aussi le fondateur de la caisse des allocations familiales de la région de Bohain.

 

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Pierre Cornuet
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